Vidy, 10 novembre 2022 : la veille, la chorégraphe Yasmine Hugonnet a créé Les Porte-voix – Cabaret ventriloque, un spectacle entre danse et ventriloquie.
La paléontologue et historienne des sciences française Claudine Cohen est venue assister à la première du spectacle. La chorégraphe s’est en effet inspirée de ses recherches pour créer Les Porte-Voix.
Car dans celui-ci, Yasmine Hugonnet s’intéresse à l’histoire de la ventriloquie, débutée avec la Pythie de Delphes, en puisant dans les textes de Diodore de Sicile ou de l’Abbé de La Chapelle. Ce dernier ayant publié au XVIIIe siècle une enquête sur cette pratique, lié à l’étrange, au miraculeux, à une sagesse intuitive aussi, au ventre et à l’intériorité, et bien souvent aux femmes.
Dans Les Porte-Voix, la chorégraphe rapproche ainsi l’histoire des représentations sociales, culturelles ou scientifiques de la ventriloquie et des femmes, et notamment elles induisent ou assignent une place, un espace, des possibles, aux femmes, dans la vie collective.
Quatre interprètes, toutes et tous danseurs-danseuses et ventriloques, évoluent dans un espace conçu par la scénographe Nadia Lauro, qui ressemblent à des parois de grotte blanchies ou à des os fossiles et immenses. L’histoire de la ventriloquie devient peu à peu l’énigme d’une représentation comme ventriloquée par une autre, celle des femmes, représentées près des foyers, des cuisines et des enfants, dès la préhistoire, sans autre raison que l’idéologie patriarcale des scientifiques qui ont produit ses représentations.
Puis le spectacle semble formuler une hypothèse : comme le suggère l’autrice Ursula Le Guin, nous avons l’habitude de valoriser l’arme ou l’outil, accessoires des héros, par rapport au panier, qui sert à rassembler et à ramener. De même, nous valorisons spontanément un corps ou une voix qui envoie ou émet par rapport à celle ou celui qui reçoit ou accueille – à la façon de la voix du ventriloque qui agit le corps qu’il fait parler.
Mais le rapport entre danse et ventriloquie permet de tenter de troubler ce schéma trop simple et pourtant si ordinaire. Car si nous accordons de la valeur, si nous reconnaissons comme une présence noble donc, ce qui contient, rassemble, rapporte ou reçoit, alors une parole, un geste, devient non plus une affirmation, une direction, mais un partage, une transmission, ou même une « transformission », comme dit l’archéologue Laurent Olivier, une transmission-transformation, une occasion de création dans laquelle chacun
e à sa part.C’est entre autres ce qu’évoquent ensemble Yasmine Hugonnet et Claudine Cohen.
Claudine Cohen est titulaire de la chaire biologie et société à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et enseigne à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris. Paléontologue, elle est également philosophe et historienne des sciences. Elle s’est notamment particulièrement intéressée aux représentations des femmes de la Préhistoire : c’est la première à avoir déconstruit les représentations genrées et sexuées pour la préhistoire occidentale, montrant combien les femmes préhistoriques ont été représentées de façon caricaturale et le sont parfois encore toujours aujourd’hui, dans les représentations populaires et scientifiques de cette époque.
Ce matin, lendemain de la première de Les Porte-Voix – cabaret ventriloque, nous retrouvons Claudine Cohen et Yasmine Hugonnet pour échanger sur le spectacle.
Arts Mouvementés, la compagnie de Yasmine Hugonnet
yasminehugonnet.comClaudine Cohen a récemment publié :
- La femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale, Paris Belin Herscher [2003] 2020.
- Femmes de la préhistoire, Paris, Belin 2016 - réédition poche coll. Texto Tallandier [2019] 2021